Fjord

Tadoussac, Septembre 2018. 

Dans mes premières années de photographe freelance, j’ai eu la chance et l’honneur de photographier les deux représentations du projet Fjord, un spectacle de danse imaginé par Sylvie Mercier, de la compagnie de danse Bourask, et ses collaborateur.trices. 

Loin d’être un spectacle ordinaire, Fjord se veut avant tout une expérience visuelle, sensorielle et humaine. Né de la collaboration entre des autochtones de diverses communautés, le projet a été conçu et présenté dans ce lieu hautement symbolique qu’est le territoire de la Côte-Nord, le Nitassinan, qui signifie « notre terre » en innu-aimum. 

La prestation est pensée et offerte dans un format « in situ », qui se traduit du latin par « dans son milieu naturel », et c’est précisément là que Fjord nous a transporté.es; prenant place à l’intersection même du Fleuve Saint-Laurent et de la rivière Saguenay, c’est dans les sentiers de la Pointe-de-l’Islet que les spectateur.trices ont été amené.es à suivre les artistes en pleine action.

Les lignes qui suivent et les images qui les accompagnent sont un humble témoignage non exhaustif d’une expérience unique, dont j’ai tenté d’immortaliser toute l’essence, la profondeur et la beauté !

Les quatre éléments

Fjord incarne la vision autochtone de la rencontre entre les quatre éléments qui forment ce monde, soit l’air, l’eau, la terre et le feu, lesquels prennent vie à travers les interprètes : 

  • Sylvie Mercier (danse) personnifie l’Air ;

  • Ian Yaworski (danse) personnifie l’Eau ;

  • Aïcha Bastien N’Diaye (danse) personnifie la Terre ;

  • Gary MacFarland (narration) personnifie le Feu.

Après une introduction de quelques minutes à l’entrée du sentier, c’est dans une ambiance calme que nous débutons le parcours, avec Gary qui ouvre la marche. Entre chaque halte, accompagné par son tambour, il ponctue sa narration de chants autochtones qui retracent l’histoire de ces éléments, ainsi que de leur interaction avec tous les êtres qui peuplent le territoire. 

Pas à pas, nous voilà arrivés au bord de l’eau. Dans un décor à couper le souffle, les trois interprètes maintenant réuni.es se livrent à une chorégraphie rythmée par les tambours et les chants de quatre hommes autochtones, auxquels Gary se joint. 

C’est ainsi bercé.es par le son des vagues, le visage fouetté par le vent du large et inondé de la lumière dorée du crépuscule, que nous assistons, avec beaucoup d’émotions, à la rencontre des quatre éléments – aussi bien au sens figuré que littéral ! 

Une fois la prestation terminée et chaleureusement applaudie, les spectateur.trices sont invité.es à se joindre à la troupe pour une courte activité de médiation culturelle. C’est dans un contexte de réconciliation et de rassemblement que Gary guide les participant.es à travers les chants et les tambours, concluant ce pèlerinage unique avec un esprit de respect et d’ouverture.

Quand la nature en décide autrement…

Pour la deuxième représentation, qui avait lieu le lendemain, nous n’avons malheureusement pas eu la température dont nous avions été gratifié.es la veille; pluie, vent et froid automnal se sont mis de la partie, contraignant la prestation à s’effectuer en intérieur, dans la salle Marie-Clarisse de l’Hôtel Tadoussac. 

Par conséquent, la mise en scène a dû être modifiée, laissant la place à un format de spectacle légèrement moins interactif et plus conventionnel, où le public se retrouve assis face aux interprètes.

On aurait pu croire que ce changement drastique dans la présentation de l'œuvre en amoindrirait la portée et la puissance, mais absolument pas! 

Le jeu d’ombres et de lumières créé par les éclairages de la salle a donné à la performance un caractère particulièrement introspectif, presque sacré. À défaut de marcher dans les sentiers boisés, nous nous sommes retrouvé.es statiques et contemplatif.ves, plongé.es dans une atmosphère propice au recueillement.

Un autre élément différenciant cette représentation avec la première fut la plus grande place accordée à l’improvisation. En effet, profitant du contexte qui invitait à une plus grande proximité entre le public et les artistes, chacun des interprètes a pris le temps de faire une brève présentation de sa démarche artistique avant d’effectuer son numéro. Ceci nous a amené.es à connecter différemment avec la démarche derrière l’ensemble du projet.

De mon point de vue plus technique/photographique, cette deuxième représentation a comporté certains défis, notamment le faible éclairage, qui a rendu plus difficiles certaines prises de vues au niveau de la netteté des visages et expressions, de même que les déplacements assez limités que je pouvais effectuer sans déranger les interprètes pendant leurs performances. 

Préparation, appréciation & témoignage

Mon expérience avec Fjord en a été une d’apprentissages, autant au niveau professionnel qu’humain. 

À cette époque, je n’avais encore jamais eu l’occasion de photographier une performance de cette envergure, surtout pas dans une formule en pleine nature qui impliquait autant de déplacements. J’ai donc énormément appris, non seulement dans une perspective technique sur mon propre rôle, mais aussi sur la façon dont s’expriment les aspects collaboratif et humain dans un projet d’une telle ampleur. 

Mon mandat de photographe dans ce genre de contexte constituait principalement à prendre note des moments-clés et, évidemment, observer. 

En plus des deux représentations, j’ai aussi assisté à deux des séances de création se tenant un mois plus tôt en extérieur, sur le site de l’événement. 

C’est dans ces moments de préparation que j’ai réellement pu mesurer l’importance du fort lien de collaboration qui unissait ces artistes pour livrer un résultat qui est directement aligné avec les valeurs principales véhiculées par le projet; le travail d’équipe dans le respect des forces de chacun.e, celles-ci unies dans une cohésion artistique et humaine ainsi que la connexion les uns aux autres… tout cela m’a semblé se déposer naturellement dans un esprit de continuité limpide.

Assister à ce spectacle, c’était aussi se laisser guider dans une vision intersectionnelle de la spiritualité, qui nous invite à revoir notre position dans cet environnement qui nous entoure; nous faisons partie d’un tout où chaque élément a sa place et interagit pour préserver un équilibre en constant mouvement. 

Particulièrement touché et choyé que Sylvie Mercier m’ait approché pour me confier la prise de vue, je me suis senti impliqué dans quelque chose de beau et de grand; avoir documenté ce projet en images, c’est avoir été un témoin actif et privilégié d’une œuvre qui, à mon avis, dépasse largement les berges du St-Laurent et de la rivière Saguenay ! …

 
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